· Éducation · 7 min read
Émétophobie chez l'enfant et l'adolescent : reconnaître et accompagner la peur de vomir
L'émétophobie débute souvent dans l'enfance. Ce guide aide les parents à reconnaître les signes et à accompagner leur enfant vers la guérison.

L’émétophobie chez l’enfant : un trouble plus fréquent qu’on ne le pense
L’émétophobie, ou peur pathologique de vomir, fait partie des phobies les plus répandues chez l’enfant et l’adolescent. Souvent méconnue des parents et des professionnels de l’éducation, elle peut avoir un impact majeur sur le développement, la scolarité et la vie sociale de l’enfant.
Quelques chiffres clés
- Âge moyen d’apparition : entre 9 et 10 ans
- Prévalence : 1,7% à 3,1% des enfants et adolescents
- Ratio filles/garçons : 3:1 à 4:1 (prédominance féminine)
- Persistance : sans traitement, l’émétophobie persiste souvent à l’âge adulte
Point important : De nombreux enfants émétophobes sont diagnostiqués à tort comme ayant un “simple” trouble alimentaire ou de l’anxiété de séparation.
Reconnaître les signes de l’émétophobie chez l’enfant
Manifestations comportementales
À la maison :
- Refuse de manger certains aliments “à risque”
- Vérifie obsessionnellement les dates de péremption
- Pose des questions répétitives sur la fraîcheur des aliments
- Évite de toucher certains objets (poubelles, poignées de portes)
- Se lave les mains excessivement
À l’école :
- Refus scolaire ou absentéisme fréquent
- Évitement de la cantine
- Anxiété avant les sorties scolaires
- Demandes répétées pour appeler les parents
- Difficultés à rester seul en classe
En situation sociale :
- Évite les anniversaires et fêtes
- Refuse d’aller chez des amis
- Anxiété dans les transports
- Évitement des lieux publics bondés
Manifestations émotionnelles
Anxiété anticipatoire :
- “Et si quelqu’un vomit ?”
- “Et si je tombe malade ?”
- “J’ai peur de manger ça”
Réactions de panique :
- Crises de larmes face à une nausée perçue
- Terreur si un camarade dit avoir mal au ventre
- Fuite ou figement lors d’un incident de vomissement
Humeur altérée :
- Tristesse liée aux restrictions
- Sentiment d’être “différent”
- Frustration face à l’incompréhension
Manifestations physiques
Le cercle vicieux de l’émétophobie crée souvent des symptômes physiques paradoxaux :
- Nausées (causées par l’anxiété)
- Maux de ventre récurrents
- Tensions musculaires
- Difficultés à avaler (boule dans la gorge)
- Perte d’appétit
- Troubles du sommeil
Attention : Ces symptômes sont souvent confondus avec des problèmes digestifs organiques, entraînant de multiples consultations médicales infructueuses.
Comprendre l’origine de l’émétophobie infantile
Événement déclencheur typique
Dans 70-80% des cas, on retrouve un événement traumatisant identifiable :
Types d’événements déclencheurs :
- Gastro-entérite vécue difficilement
- Vomissement en public (à l’école notamment)
- Observation d’un proche vomissant
- Intoxication alimentaire marquante
- Période de nausées lors d’une maladie
Ce n’est pas l’événement lui-même qui crée la phobie, mais la façon dont l’enfant l’a vécu : sentiment de perte de contrôle, de honte, de danger perçu.
Facteurs de vulnérabilité
Tempérament anxieux :
- Enfants sensibles et réactifs
- Tendance à l’hypervigilance corporelle
- Besoin de contrôle élevé
Contexte familial :
- Parent lui-même anxieux ou émétophobe
- Surprotection parentale
- Messages anxiogènes sur la maladie ou l’alimentation
Autres facteurs :
- Événements de vie stressants concomitants
- Difficultés scolaires ou sociales
- Sensibilité sensorielle accrue
Le mécanisme de maintien
Événement → Peur conditionnée → Évitement → Renforcement de la peur
↑ ↓
└──────── Maintien du cercle vicieux ←─────────┘Plus l’enfant évite les situations anxiogènes, plus sa peur se renforce. C’est ce cercle vicieux que le traitement TCC vise à briser.
L’impact de l’émétophobie sur le développement
Conséquences scolaires
Absentéisme :
- Refus d’aller à l’école (surtout lors d’épidémies)
- Multiplication des “jours de maladie” injustifiés
- Demandes répétées de rentrer à la maison
Performance académique :
- Difficultés de concentration (anxiété de fond)
- Résultats scolaires en baisse
- Évitement des activités parascolaires
Relations avec les pairs :
- Isolement social progressif
- Difficultés à se faire des amis
- Stigmatisation possible (“le/la difficile”)
Conséquences alimentaires
Restriction alimentaire :
- Liste d’aliments “sûrs” de plus en plus restreinte
- Évitement de groupes alimentaires entiers
- Refus de la cantine scolaire
Risques nutritionnels :
- Carences vitaminiques
- Retard de croissance possible
- Troubles du comportement alimentaire secondaires
Rituels alimentaires :
- Cuisson excessive des aliments
- Refus de manger dehors
- Vérifications obsessionnelles
Conséquences psychologiques
À court terme :
- Anxiété généralisée
- Baisse de l’estime de soi
- Sentiment d’incompréhension
À long terme (sans traitement) :
- Dépression
- Phobies associées (phobie sociale, agoraphobie)
- Troubles du comportement alimentaire
- Difficultés relationnelles
Comment réagir en tant que parent
Ce qu’il faut faire
Valider les émotions de l’enfant :
- “Je comprends que tu aies peur”
- “Cette peur est réelle pour toi”
- “Tu n’es pas ridicule de ressentir ça”
Informer et rassurer :
- Expliquer ce qu’est l’émétophobie
- Normaliser : beaucoup d’enfants ont cette peur
- Rassurer sur la possibilité d’aller mieux
Encourager sans forcer :
- Proposer des défis progressifs et adaptés
- Célébrer chaque petite victoire
- Accompagner plutôt qu’imposer
Consulter des professionnels :
- Médecin traitant ou pédiatre
- Psychologue TCC spécialisé
- Pédopsychiatre si nécessaire
Ce qu’il faut éviter
Minimiser ou ignorer :
- ❌ “Ce n’est pas grave, arrête d’y penser”
- ❌ “Tout le monde a vomi un jour”
- ❌ “Tu fais ça pour attirer l’attention”
Renforcer l’évitement :
- ❌ Accepter systématiquement les demandes de rester à la maison
- ❌ Adapter toute l’alimentation familiale à la phobie
- ❌ Surprotéger l’enfant de toute situation “à risque”
Punir ou critiquer :
- ❌ “Tu es trop sensible”
- ❌ “À ton âge, c’est ridicule”
- ❌ Montrer son exaspération face aux comportements
Rassurer excessivement :
- ❌ Répondre systématiquement aux demandes de réassurance
- ❌ Promettre que l’enfant ne vomira jamais
- ❌ Vérifier les aliments avec lui de façon compulsive
Les traitements efficaces chez l’enfant
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
Traitement de référence pour l’émétophobie infantile, la TCC est adaptée à l’âge et au développement de l’enfant.
Composantes de la TCC pédiatrique :
Psychoéducation
- Expliquer à l’enfant ce qu’est l’anxiété
- Utiliser des métaphores adaptées (le “monstre de la peur”, le “cerveau sur-protecteur”)
- Impliquer les parents dans la compréhension
Gestion des sensations physiques
- Techniques de relaxation ludiques
- Respiration par le jeu (souffler des bougies, gonfler un ballon)
- Exercices de pleine conscience adaptés
Restructuration cognitive simplifiée
- Identifier les “pensées-peur”
- Trouver des “pensées-courage”
- Utiliser des supports visuels
Exposition graduelle
- Hiérarchie des peurs avec l’enfant
- Défis progressifs et ludiques
- Récompenses et encouragements
Implication des parents
La participation des parents est essentielle dans le traitement de l’émétophobie infantile :
Rôles des parents :
- Comprendre les mécanismes de la phobie
- Apprendre à réagir de façon adaptée
- Accompagner les exercices d’exposition
- Maintenir une attitude encourageante mais non-forçante
Format thérapeutique :
- Séances individuelles avec l’enfant
- Séances de guidance parentale
- Séances familiales si nécessaire
Durée et efficacité du traitement
Durée typique : 12 à 16 séances Efficacité : 70-85% d’amélioration significative Maintien des gains : bons résultats à long terme avec prévention des rechutes
Stratégies pratiques pour les parents
À la maison
Alimentation :
- Maintenir une alimentation variée pour toute la famille
- Ne pas créer de catégories “aliments dangereux”
- Impliquer l’enfant dans la préparation des repas (exposition douce)
- Éviter les commentaires anxiogènes sur la fraîcheur des aliments
Routine quotidienne :
- Maintenir des routines structurantes
- Intégrer des moments de relaxation
- Éviter les discussions anxiogènes avant le coucher
Communication :
- Répondre aux questions une fois, sans réassurance répétitive
- Encourager l’expression des émotions
- Valoriser les efforts et progrès
À l’école
Communication avec l’établissement :
- Informer l’enseignant de la situation
- Établir un protocole en cas de crise
- Prévoir un plan pour les sorties scolaires
Gestion de la cantine :
- Maintenir la cantine si possible (objectif thérapeutique)
- Alternative temporaire : panier-repas préparé à la maison
- Progression vers le retour à la cantine
Gestion des épidémies :
- Ne pas retirer systématiquement l’enfant
- Travailler sur la tolérance à l’incertitude
- Prévoir des stratégies de gestion en cas d’incident
Outils pratiques
Le “thermomètre de la peur” :
- Échelle visuelle de 0 à 10
- L’enfant évalue son niveau de peur
- Permet de suivre les progrès
Le “carnet de courage” :
- Noter les défis relevés
- Coller des autocollants-récompenses
- Relire en cas de découragement
La “boîte à outils anti-peur” :
- Objet réconfortant
- Fiche de respiration
- Pensées-courage écrites
- Petit snack “sûr” pour l’école
Quand et qui consulter
Signaux d’alerte nécessitant une consultation
- Refus scolaire persistant
- Perte de poids ou restriction alimentaire importante
- Anxiété envahissante impactant le quotidien
- Symptômes depuis plus de 6 mois
- Échec des stratégies parentales seules
Professionnels à consulter
En première intention :
- Pédiatre/médecin traitant : éliminer une cause organique, orienter
- Psychologue TCC : traitement de référence
Si nécessaire :
- Pédopsychiatre : cas sévères, comorbidités
- Diététicien : troubles alimentaires associés
Ressources pour trouver un thérapeute :
- AFTCC (Association Française de TCC)
- AFFORTHECC (formations TCC)
- Centres Médico-Psychologiques (CMP) — gratuits
- Maisons des Adolescents
Témoignage d’un accompagnement réussi
“Notre fille Léa avait 8 ans quand elle a commencé à refuser d’aller à l’école. Elle avait des maux de ventre tous les matins, pleurait dès qu’un camarade était absent pour gastro. On a d’abord consulté plein de médecins pour ses problèmes digestifs… rien d’anormal. C’est notre pédiatre qui a finalement évoqué l’émétophobie.
On a trouvé une psychologue TCC spécialisée. Les premières séances ont été difficiles : Léa ne voulait même pas prononcer le mot ‘vomir’. Mais petit à petit, avec des jeux, des défis progressifs, elle a fait des progrès incroyables.
Aujourd’hui, 18 mois après, Léa va à l’école sans problème, mange à la cantine, et a même participé à une classe verte. Elle a encore parfois des moments d’anxiété, mais elle sait les gérer. On est tellement fiers d’elle — et soulagés d’avoir trouvé de l’aide.”
— Parents de Léa, 10 ans
Conclusion : un trouble traitable avec un bon accompagnement
L’émétophobie chez l’enfant et l’adolescent est un trouble sérieux mais traitable. Plus le diagnostic est précoce et le traitement adapté, meilleur est le pronostic.
Messages clés pour les parents :
✅ L’émétophobie n’est pas un caprice ou une exagération ✅ Ne pas minimiser, mais ne pas surprotéger non plus ✅ La TCC est le traitement de référence avec d’excellents résultats ✅ Votre implication est essentielle dans le processus de guérison ✅ Avec le bon accompagnement, votre enfant peut retrouver une vie normale
N’hésitez pas à consulter dès que vous identifiez les signes. Une prise en charge précoce permet d’éviter des années de souffrance et de limitations.
Si vous reconnaissez votre enfant dans cette description, n’hésitez pas à en parler à votre pédiatre ou à consulter directement un psychologue formé en TCC. La peur de vomir peut se surmonter avec les bons outils.



