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Comportements de sécurité dans l'émétophobie : les identifier et s'en libérer
Les comportements de sécurité maintiennent l'émétophobie dans un cercle vicieux. Identifiez-les et apprenez à vous en libérer progressivement pour une guérison durable.

Qu’est-ce qu’un comportement de sécurité ?
Un comportement de sécurité est une action réalisée pour prévenir ou réduire l’anxiété face à une situation redoutée. Dans l’émétophobie, ces comportements visent à empêcher le vomissement ou à se rassurer face à la possibilité de vomir.
Le paradoxe des comportements de sécurité
Ces comportements semblent aider à court terme :
- Réduction immédiate de l’anxiété
- Sentiment de contrôle
- Évitement de la situation redoutée
Mais ils nuisent à long terme :
- Maintiennent la croyance que le danger est réel
- Empêchent l’apprentissage que la peur est infondée
- Renforcent et généralisent la phobie
- Limitent progressivement la vie quotidienne
Principe clé : Chaque fois que vous utilisez un comportement de sécurité et que vous ne vomissez pas, votre cerveau attribue ce “succès” au comportement, pas au fait que le danger n’existait pas.
Les principales catégories de comportements de sécurité
1. Évitements alimentaires
Les évitements alimentaires sont parmi les comportements de sécurité les plus répandus dans l’émétophobie.
Aliments systématiquement évités
| Catégorie | Exemples | Raisonnement typique |
|---|---|---|
| Viandes | Poulet, porc, fruits de mer | ”Risque de salmonelle ou intoxication” |
| Produits laitiers | Lait cru, fromages non pasteurisés | ”Peut tourner et rendre malade” |
| Œufs | Œufs peu cuits, mayonnaise maison | ”Risque de salmonelle” |
| Produits frais | Salades en sachet, sushi | ”Chaîne du froid potentiellement rompue” |
| Alcool | Toutes boissons alcoolisées | ”Peut faire vomir” |
Règles alimentaires rigides
- Ne jamais manger un aliment le jour de la date de péremption
- Refuser tout aliment préparé par quelqu’un d’autre
- Manger uniquement des aliments très cuits
- Éviter les restaurants ou ne commander que des plats “sûrs”
- Ne jamais goûter à quelque chose de nouveau
Rituels de vérification alimentaire
- Vérifier les dates de péremption plusieurs fois
- Sentir les aliments avant de les manger
- Inspecter visuellement chaque aliment
- Rechercher sur internet les risques de chaque ingrédient
- Jeter des aliments encore bons “au cas où”
2. Évitements situationnels
Lieux évités
Transports :
- Avion (impossible de fuir)
- Bateau (mal de mer possible)
- Bus et métro (autres passagers potentiellement malades)
- Voiture comme passager (mal des transports)
Espaces publics :
- Restaurants (hygiène incertaine)
- Cinémas et théâtres (coincé au milieu d’une rangée)
- Concerts et événements bondés
- Centres commerciaux
- Parcs d’attractions
Établissements de santé :
- Hôpitaux (gastro-entérites)
- Cabinets médicaux
- Salles d’attente
Milieu scolaire ou professionnel :
- Cantine
- Sorties d’équipe
- Voyages d’affaires
Situations sociales évitées
- Dîners chez des amis
- Anniversaires et fêtes
- Mariages et événements familiaux
- Soirées où l’alcool est présent
- Rencontres avec des enfants en bas âge
3. Comportements de vérification et de réassurance
Auto-surveillance corporelle
- Prendre sa température plusieurs fois par jour
- Scanner mentalement son corps à la recherche de nausées
- Interpréter chaque gargouillement comme un signe de maladie
- Surveiller sa fréquence cardiaque et sa respiration
Recherche de réassurance
Auprès des proches :
- “Tu trouves que j’ai l’air malade ?”
- “Ce plat avait bon goût pour toi aussi ?”
- “Tu penses que je vais vomir ?”
- “La viande était assez cuite ?”
Sur internet :
- Recherches compulsives sur les symptômes
- Vérification des rappels de produits alimentaires
- Consultation des alertes sanitaires
- Lectures sur les intoxications alimentaires
Préparation “au cas où”
- Toujours avoir un sac plastique sur soi
- Connaître l’emplacement des toilettes partout
- Repérer les sorties de secours
- Avoir des médicaments anti-nausée en permanence
4. Comportements d’évitement subtils
Ces comportements sont souvent moins évidents mais tout aussi problématiques.
Évitements mentaux
- Éviter de prononcer les mots “vomir”, “nausée”, “vomissement”
- Changer de chaîne si une scène de vomissement apparaît
- Éviter de penser à la possibilité de vomir
- Distraction compulsive pour ne pas se concentrer sur les sensations
Comportements de neutralisation
- Se dire des phrases rassurantes de façon répétitive
- Faire des rituels mentaux pour “annuler” une pensée anxiogène
- Toucher un objet porte-bonheur
- Éviter certains chiffres ou couleurs associés à la maladie
5. Évitements liés à la grossesse et aux enfants
Une catégorie spécifique mais très fréquente :
- Éviter la grossesse par peur des nausées matinales
- Éviter les contacts avec des enfants (ils vomissent souvent)
- Refuser de s’occuper d’enfants malades
- Ne pas envisager certains métiers (éducation, santé)
Le cercle vicieux des comportements de sécurité
Comment ça fonctionne
Situation perçue comme risquée
↓
Anxiété intense
↓
Comportement de sécurité
(évitement, vérification, fuite)
↓
Soulagement temporaire
↓
"Je n'ai pas vomi GRÂCE à mon comportement"
↓
Renforcement de la croyance que le danger était réel
↓
Maintien et généralisation de la phobieExemple concret
Situation : Invitation à dîner chez des amis
Sans comportement de sécurité :
- J’y vais → Je mange normalement → Je ne vomis pas → Mon cerveau apprend que ce n’était pas dangereux
Avec comportements de sécurité :
- Je refuse l’invitation (évitement) → Soulagement → Mon cerveau conclut “J’ai eu raison d’éviter, c’était dangereux”
OU
- J’y vais mais je ne mange que du pain (évitement partiel) → Je ne vomis pas → Mon cerveau conclut “Je n’ai pas vomi PARCE QUE j’ai évité les autres aliments”
Dans les deux cas, la peur est maintenue ou renforcée.
Comment identifier VOS comportements de sécurité
Auto-questionnaire
Répondez honnêtement à ces questions :
Alimentation :
- Évitez-vous régulièrement certains aliments par peur de vomir ?
- Vérifiez-vous les dates de péremption plus d’une fois ?
- Refusez-vous de manger chez les autres ou au restaurant ?
- Jetez-vous des aliments encore bons “par précaution” ?
Situations sociales :
- Avez-vous refusé des invitations par peur de vomir ?
- Évitez-vous les transports en commun ?
- Repérez-vous systématiquement les toilettes dans chaque lieu ?
- Évitez-vous certains événements (concerts, cinéma, etc.) ?
Corps et santé :
- Prenez-vous votre température régulièrement sans raison médicale ?
- Demandez-vous souvent aux autres si vous avez l’air malade ?
- Portez-vous toujours des médicaments anti-nausée sur vous ?
- Évitez-vous l’alcool complètement ?
Mental :
- Évitez-vous de prononcer ou d’écrire le mot “vomir” ?
- Recherchez-vous fréquemment des informations sur les intoxications alimentaires ?
- Faites-vous des rituels mentaux pour vous rassurer ?
Résultat :
- 0-3 cases cochées : Peu de comportements de sécurité
- 4-8 cases cochées : Comportements de sécurité modérés
- 9+ cases cochées : Comportements de sécurité importants nécessitant un travail ciblé
Journal des comportements de sécurité
Pendant une semaine, notez chaque comportement de sécurité :
| Date | Situation | Comportement | Effet immédiat | Croyance renforcée |
|---|---|---|---|---|
| Ex: 12/11 | Repas en famille | Mangé seulement des pâtes | Moins d’anxiété | ”Les autres plats étaient risqués” |
Stratégies pour réduire les comportements de sécurité
Principe général : réduction graduelle
On ne supprime pas tous les comportements de sécurité d’un coup. L’approche est progressive :
- Identifier tous les comportements de sécurité
- Hiérarchiser du moins anxiogène au plus anxiogène
- Commencer par les plus faciles à abandonner
- Progresser vers les plus difficiles
- Consolider chaque étape avant de passer à la suivante
Technique de l’abandon progressif
Étape 1 : Prendre conscience
- Identifiez un comportement de sécurité spécifique
- Comprenez en quoi il maintient votre phobie
Étape 2 : Expérience comportementale
- Choisissez une situation où vous utilisez habituellement ce comportement
- Planifiez de NE PAS l’utiliser cette fois
- Prédisez ce qui va se passer (anxiété, vomissement ?)
Étape 3 : Test de la réalité
- Réalisez l’expérience sans le comportement de sécurité
- Observez ce qui se passe réellement
- Comparez à vos prédictions
Étape 4 : Analyse des apprentissages
- “Qu’est-ce qui s’est passé ?”
- “Qu’est-ce que j’ai appris ?”
- “Comment cela change-t-il ma croyance ?”
Exemples de hiérarchie d’abandon
Exemple 1 : Évitement alimentaire
| Niveau | Comportement de sécurité | Objectif |
|---|---|---|
| 1 | Ne pas sentir les aliments avant de les manger | Manger sans sentir d’abord |
| 2 | Vérifier les dates de péremption plusieurs fois | Vérifier une seule fois |
| 3 | Éviter les restaurants | Manger au restaurant (plat “sûr”) |
| 4 | Ne manger que des plats très cuits | Manger de la viande rosée |
| 5 | Éviter les produits laitiers | Manger du fromage |
| 6 | Ne jamais goûter de nouveaux aliments | Goûter quelque chose de nouveau |
Exemple 2 : Réassurance
| Niveau | Comportement de sécurité | Objectif |
|---|---|---|
| 1 | Demander si le repas était bon | Ne pas demander |
| 2 | Prendre sa température 5x/jour | Réduire à 1x/jour puis 0 |
| 3 | Rechercher sur internet les symptômes | Pas de recherche pendant 24h |
| 4 | Demander “tu penses que je vais vomir ?” | S’abstenir de demander |
| 5 | Avoir toujours des médicaments sur soi | Sortir sans médicaments |
La technique du “surf sur l’anxiété”
Quand vous abandonnez un comportement de sécurité, l’anxiété augmente temporairement. La technique du surf consiste à :
- Observer la montée de l’anxiété comme une vague
- Accepter que l’anxiété soit présente
- Ne pas lutter contre elle
- Attendre qu’elle redescende naturellement (elle le fera toujours)
- Remarquer qu’aucune catastrophe ne s’est produite
Image mentale : Vous êtes un surfeur sur la vague de l’anxiété. Vous ne luttez pas contre la vague, vous la laissez vous porter jusqu’à ce qu’elle s’apaise.
Erreurs courantes à éviter
1. Remplacer un comportement par un autre
Exemple : Arrêter de prendre des médicaments anti-nausée mais commencer à porter un bracelet “porte-bonheur”
Solution : Identifier tous les comportements de sécurité, y compris les plus subtils
2. Abandonner trop vite ou trop en bloc
Exemple : Supprimer tous les évitements alimentaires en un jour
Résultat probable : Anxiété excessive, échec, découragement, retour aux anciens comportements
Solution : Progression graduelle et consolidation
3. “Tester” les situations plutôt que s’y exposer
Exemple : Aller au restaurant “pour voir” si on peut le supporter, prêt à fuir au moindre signe
Problème : Ce n’est pas une vraie exposition si l’échappatoire est préparée
Solution : S’engager pleinement dans la situation, sans plan de fuite
4. S’exposer puis utiliser un comportement de sécurité après
Exemple : Manger au restaurant, puis prendre un médicament anti-nausée “au cas où” en rentrant
Problème : Le comportement de sécurité annule une partie de l’apprentissage
Solution : Résister à la tentation de “compenser” après coup
Avec ou sans thérapeute ?
Travail en autonomie
Possible pour :
- Comportements de sécurité légers à modérés
- Bonne compréhension des mécanismes
- Capacité à tolérer l’anxiété temporaire
Limites :
- Plus difficile de maintenir la motivation
- Risque de comportements de sécurité non identifiés
- Pas de soutien en cas de difficulté
Avec un thérapeute TCC
Recommandé si :
- Comportements de sécurité très envahissants
- Émétophobie sévère avec impact majeur sur la vie quotidienne
- Échecs des tentatives en autonomie
- Comorbidités (dépression, autres troubles anxieux)
Avantages :
- Identification exhaustive des comportements
- Programme personnalisé et gradué
- Soutien et encouragements
- Gestion des obstacles
Témoignage : le processus de libération
“Mes comportements de sécurité avaient pris toute la place. Je ne mangeais que 10 aliments différents, je ne sortais presque plus, je prenais ma température 8 fois par jour, et je demandais constamment à mon conjoint s’il pensait que j’étais malade.
Ma thérapeute m’a aidée à tous les identifier — j’en avais une trentaine ! On a commencé par les plus faciles : arrêter de sentir mes aliments, puis réduire les prises de température. Chaque abandon était difficile au début, mais l’anxiété finissait toujours par redescendre.
Aujourd’hui, 8 mois plus tard, j’ai supprimé la grande majorité de ces comportements. Je mange de nouveau au restaurant, je voyage, j’ai même goûté des huîtres le mois dernier ! Il me reste quelques évitements à travailler, mais ma vie a complètement changé.”
— Nathalie, 36 ans
Plan d’action en 4 semaines
Semaine 1 : Identification
- Lister TOUS vos comportements de sécurité
- Les classer par catégorie
- Les hiérarchiser selon la difficulté d’abandon
- Choisir 1-2 comportements faciles pour commencer
Semaine 2 : Premiers abandons
- Abandonner les 1-2 comportements choisis
- Noter l’anxiété ressentie et son évolution
- Observer les résultats
- Consolider avant de continuer
Semaine 3 : Progression
- Ajouter 1-2 nouveaux comportements à abandonner
- Continuer les précédents
- Analyser les apprentissages
- Ajuster si nécessaire
Semaine 4+ : Consolidation et avancée
- Continuer la progression graduelle
- Viser des comportements plus difficiles
- Maintenir les abandons précédents
- Célébrer les progrès
Conclusion : se libérer pour vivre pleinement
Les comportements de sécurité sont au cœur du maintien de l’émétophobie. Ils créent une illusion de contrôle qui, paradoxalement, renforce la phobie et limite considérablement la vie quotidienne.
Messages clés :
- Les comportements de sécurité maintiennent la phobie malgré leur effet rassurant immédiat
- Ils empêchent le cerveau d’apprendre que le danger n’existe pas
- Les identifier est la première étape vers la guérison
- L’abandon doit être progressif et planifié
- L’anxiété temporaire est normale et diminue avec la pratique
- Chaque comportement abandonné est une victoire vers la liberté
Chaque comportement de sécurité que vous abandonnez vous rapproche d’une vie où votre alimentation, vos sorties et vos relations ne sont plus dictées par la peur. C’est un travail exigeant, mais les bénéfices sont immenses.
Si vous avez identifié de nombreux comportements de sécurité et que votre émétophobie impacte significativement votre vie, n’hésitez pas à consulter un thérapeute TCC spécialisé. Un accompagnement professionnel peut faire toute la différence.



