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Nausées et anxiété : comprendre le cercle vicieux de l'émétophobie
Les nausées d'anxiété sont au cœur du cercle vicieux de l'émétophobie. Comprenez les mécanismes scientifiques et apprenez à briser ce cycle infernal.

Le paradoxe cruel de l’émétophobie
L’émétophobie comporte un paradoxe particulièrement cruel : la peur de vomir génère des nausées, qui à leur tour renforcent la peur de vomir. Ce cercle vicieux est au cœur du trouble et explique pourquoi l’émétophobie peut sembler si insurmontable sans aide appropriée.
Le mécanisme en bref
Peur de vomir
↓
Anxiété intense
↓
Activation du système nerveux
↓
Nausées, tensions abdominales
↓
"Je vais vomir !"
↓
Renforcement de la peur
↓
(Retour au début)Ce cercle peut s’activer en quelques secondes et se répéter indéfiniment, créant une spirale d’anxiété de plus en plus intense.
La science derrière les nausées d’anxiété
L’axe cerveau-intestin : une connexion bidirectionnelle
Le système digestif est souvent appelé notre “deuxième cerveau” — et pour cause. Le système nerveux entérique (intestinal) contient plus de 500 millions de neurones et communique en permanence avec le cerveau via le nerf vague.
Faits scientifiques :
- 95% de la sérotonine (neurotransmetteur de l’humeur) est produite dans l’intestin
- Le nerf vague transmet des informations dans les deux sens
- Les émotions influencent directement la motilité gastrique
- Le stress modifie la composition du microbiote intestinal
Cette connexion explique pourquoi nos émotions se manifestent si souvent par des symptômes digestifs : “avoir la boule au ventre”, “se faire de la bile”, “avoir l’estomac noué”.
La réponse au stress : fight-flight-freeze
Lorsque le cerveau perçoit une menace (réelle ou imaginée), il active le système nerveux sympathique — la réponse “combat-fuite-figement”.
Effets sur le système digestif :
| Réponse physiologique | Mécanisme | Symptôme ressenti |
|---|---|---|
| Ralentissement de la digestion | Redirection du sang vers les muscles | Lourdeur, inconfort |
| Contraction de l’estomac | Activation du système sympathique | Nausées, crampes |
| Augmentation de l’acidité gastrique | Production de cortisol | Brûlures, remontées |
| Tension des muscles abdominaux | Préparation à l’action | Douleurs, spasmes |
| Hypersensibilité viscérale | Hypervigilance neuronale | Sensation amplifiée |
Point clé : Ces réponses sont automatiques et involontaires. On ne peut pas les “contrôler” par la simple volonté.
L’hypervigilance interoceptive
Les personnes émétophobes développent une hypersensibilité aux sensations internes appelée hypervigilance interoceptive.
Ce qui se passe :
- Attention constante aux sensations abdominales
- Interprétation catastrophique de sensations normales
- Amplification subjective des symptômes
- Cercle vicieux attention-symptôme-anxiété
Exemple : Une personne sans émétophobie ressent un léger gargouillement et n’y prête pas attention. Une personne émétophobe perçoit la même sensation et pense immédiatement : “Mon estomac est bizarre, je vais peut-être vomir”, ce qui génère de l’anxiété, qui aggrave les sensations.
Les différents types de nausées
Nausées physiologiques vs nausées anxieuses
Nausées physiologiques (vraie maladie) :
- Surviennent progressivement
- S’accompagnent souvent d’autres symptômes (fièvre, diarrhée)
- Persistent indépendamment de l’état émotionnel
- Peuvent effectivement mener au vomissement
Nausées anxieuses (émétophobie) :
- Surviennent brutalement, souvent en situation stressante
- Peuvent disparaître avec la distraction
- Fluctuent selon le niveau d’anxiété
- Mènent très rarement au vomissement réel
Fait rassurant : La grande majorité des nausées ressenties par les émétophobes sont d’origine anxieuse et ne conduisent pas au vomissement.
Reconnaître les nausées d’anxiété
Indices que vos nausées sont probablement anxieuses :
✓ Elles apparaissent dans des situations stressantes ✓ Elles disparaissent quand vous êtes distrait(e) ✓ Elles sont accompagnées d’autres symptômes d’anxiété (cœur qui bat, sueurs) ✓ Elles ne s’accompagnent pas de fièvre ou diarrhée ✓ Vous n’avez pas réellement vomi malgré de nombreux épisodes ✓ Elles sont plus intenses le matin ou avant des événements ✓ Elles diminuent quand vous êtes en sécurité à la maison
Le cercle vicieux détaillé
Phase 1 : Le déclencheur
Un stimulus active la peur :
- Pensée intrusive (“Et si je vomissais ?“)
- Situation perçue comme à risque (restaurant, transport)
- Sensation physique (gargouillement, faim, fatigue)
- Nouvelle d’une gastro dans l’entourage
- Date de péremption proche sur un aliment
Phase 2 : L’interprétation catastrophique
Le cerveau émétophobe interprète le signal comme une menace :
- “Je sens quelque chose dans mon ventre”
- “C’est sûrement le début d’une nausée”
- “Je vais vomir”
- “Ce sera horrible, je ne le supporterai pas”
Phase 3 : La cascade physiologique
L’interprétation déclenche la réponse de stress :
- Libération d’adrénaline et de cortisol
- Activation du système nerveux sympathique
- Contraction de l’estomac
- Tension musculaire généralisée
- Apparition ou aggravation de vraies nausées
Phase 4 : La confirmation apparente
Les symptômes physiques “confirment” les craintes :
- “J’avais raison, j’ai vraiment la nausée”
- “C’est en train de se passer”
- La peur s’intensifie encore
Phase 5 : Les comportements de sécurité
Pour tenter de prévenir le vomissement :
- Respiration bloquée ou hyperventilation
- Fuite de la situation
- Recherche de réassurance
- Évitement alimentaire
Phase 6 : Le renforcement
Si le vomissement n’a pas lieu (ce qui est le cas la plupart du temps) :
- Attribution au comportement de sécurité (“Je n’ai pas vomi PARCE QUE j’ai fui”)
- Renforcement de la croyance que le danger était réel
- Maintien du cercle vicieux pour la prochaine fois
Pourquoi ce cercle est si difficile à briser
L’illusion de contrôle
Les comportements d’évitement créent une illusion de contrôle :
- “Si j’évite ce restaurant, je ne serai pas malade”
- “Si je ne mange pas ce plat, je ne vomirai pas”
- “Si je reste chez moi, je suis en sécurité”
Le problème : Ces comportements empêchent le cerveau d’apprendre que le danger n’était pas réel au départ.
Le biais de confirmation
Le cerveau émétophobe recherche et mémorise sélectivement les informations qui confirment la dangerosité :
- Une connaissance a vomi après un restaurant ? “Les restaurants sont dangereux”
- Un reportage sur une intoxication alimentaire ? “L’alimentation est risquée”
- Une sensation de nausée matinale ? “Je suis en train de tomber malade”
Les nombreuses fois où rien ne s’est passé sont ignorées ou attribuées à la chance.
La sensibilisation plutôt que l’habituation
Contrairement à ce qui se passe normalement avec la peur, l’évitement mène à la sensibilisation :
- Plus on évite, plus le cerveau considère la menace comme réelle
- La peur augmente au lieu de diminuer
- Le seuil de déclenchement devient de plus en plus bas
Stratégies pour briser le cercle
1. Comprendre et accepter le mécanisme
Psychoéducation : Savoir que les nausées sont causées par l’anxiété (et non l’inverse) est le premier pas.
Message clé : “Mes nausées sont réelles, mais elles sont le résultat de ma peur, pas d’une maladie imminente.”
2. Rompre le cycle attention-symptôme
Techniques de recentrage de l’attention :
Ancrage externe :
- Décrire en détail 5 objets que vous voyez
- Écouter attentivement les sons environnants
- Toucher différentes textures autour de vous
Engagement cognitif :
- Compter à rebours de 100 par 7
- Réciter l’alphabet à l’envers
- Nommer des pays pour chaque lettre
Activité physique légère :
- Marcher
- S’étirer
- Serrer et relâcher les poings
3. Modifier la réponse physiologique
Respiration diaphragmatique :
1. Inspirez lentement par le nez (4 secondes)
2. Sentez votre ventre se gonfler
3. Expirez lentement par la bouche (6 secondes)
4. Sentez votre ventre se dégonfler
5. Répétez pendant 3-5 minutesCette technique active le système nerveux parasympathique (relaxation) et désactive la réponse de stress.
Relaxation musculaire progressive :
- Contractez puis relâchez chaque groupe musculaire
- De la tête aux pieds ou inversement
- 10-15 minutes pour un effet complet
4. Défier les pensées catastrophiques
Questions à se poser :
- “Combien de fois ai-je eu des nausées sans vomir ?”
- “Est-ce que mes nausées ont déjà vraiment mené au vomissement ?”
- “Qu’est-ce qui se passerait réellement si je vomissais ?”
- “Suis-je en train de confondre possibilité et probabilité ?”
Restructuration cognitive :
| Pensée catastrophique | Pensée alternative |
|---|---|
| ”Ces nausées signifient que je vais vomir" | "Ces nausées sont mon corps qui réagit à l’anxiété" |
| "Je ne pourrai pas le supporter" | "Ce sera inconfortable mais je survivrai" |
| "C’est en train de se passer" | "J’ai eu cette pensée des centaines de fois et rien ne s’est passé” |
5. Cesser les comportements de sécurité
Progressivement (avec accompagnement TCC idéalement) :
- Réduire les vérifications de température
- Diminuer les demandes de réassurance
- Rester dans les situations anxiogènes
- Ne pas fuir aux premiers signes d’anxiété
Objectif : Permettre au cerveau d’apprendre que l’anxiété diminue naturellement SANS comportements de sécurité.
6. L’exposition interoceptive
Principe : Provoquer volontairement les sensations corporelles redoutées pour apprendre qu’elles ne sont pas dangereuses.
Exemples d’exercices :
- Tourner sur soi-même (étourdissement)
- Respirer par une paille (sensation d’oppression)
- Hyperventiler brièvement (sensations diverses)
- Sauter sur place après manger (mouvement gastrique)
Attention : À pratiquer de préférence avec un thérapeute formé.
Le rôle de l’exposition graduée
Comment l’exposition brise le cercle
L’exposition permet plusieurs apprentissages :
- L’anxiété diminue naturellement (habituation)
- Les sensations redoutées ne mènent pas au vomissement
- On peut tolérer l’inconfort
- Les comportements de sécurité ne sont pas nécessaires
Principes d’une exposition efficace
- Graduelle : commencer par des situations moins anxiogènes
- Prolongée : rester jusqu’à diminution de l’anxiété
- Répétée : plusieurs fois pour consolider l’apprentissage
- Sans évitement : ne pas utiliser de comportements de sécurité
Quand le cercle se brise
Signes de progrès
- Les nausées deviennent moins fréquentes
- L’anxiété diminue plus rapidement
- Les situations évitées deviennent accessibles
- Les pensées catastrophiques sont plus facilement remises en question
- La confiance en soi augmente
Témoignage
“Pendant des années, j’avais des nausées quotidiennes. Chaque matin, je me demandais si j’allais être malade. J’ai compris avec ma thérapeute que c’était l’anxiété qui créait les nausées, pas l’inverse. En travaillant sur ma peur plutôt que sur mon estomac, les nausées ont progressivement disparu. Aujourd’hui, quand je sens une légère gêne abdominale, je sais que c’est juste de l’anxiété, et ça passe.”
Conclusion : le cercle peut se briser
Le cercle vicieux anxiété-nausées-peur est réversible. Comprendre les mécanismes est la première étape ; agir sur ces mécanismes avec les bonnes techniques permet de retrouver une vie sans la tyrannie des nausées d’anxiété.
Points clés à retenir :
- Les nausées d’anxiété sont réelles mais différentes des nausées de maladie
- L’axe cerveau-intestin explique scientifiquement ce lien
- L’hypervigilance aux sensations amplifie les symptômes
- L’évitement et les comportements de sécurité maintiennent le cercle
- La TCC avec exposition est le traitement le plus efficace pour briser ce cycle
Vous n’êtes pas condamné(e) à vivre avec des nausées chroniques. Avec les bons outils et un accompagnement adapté, le cercle vicieux peut devenir un cercle vertueux : moins de peur, moins de nausées, plus de liberté.
Les nausées chroniques peuvent avoir des causes organiques. Si vos symptômes persistent, consultez un médecin pour éliminer toute cause médicale avant de conclure à une origine anxieuse.



